IMPRESSIONS
Que voulez-vous que je vous dise ? Ma gueule se casse à chaque fois que je m’approche trop près du bonheur.
Cette impression que la félicité m’échappe me rend féroce.
C’est à force de suturer les plaies, vous comprenez ? A la fin, on sature à souligner les écorchures, à tracer le contour des hématomes, à calculer la superficie de la mutilation.
Je ne voulais rien que goûter le fruit qui nous est à tous offert en posant pied sur terre et voilà qu’aujourd’hui, trop souvent, c’est l’amer qui frelate le sucré-tendre et le dissout.
Il faut sans cesse rouler sa pierre, le voyez-vous ? Il faut sans cesse sentir sa chair se recomposer, œuvrer à la surface pour raccommoder et tout en dedans, recoudre, recoudre sans trembler.
Au fondement, quand quelque chose craque c’est toujours avec grand bruit et cela s’entend jusqu’au creux le plus intime. Nos organes vibrent à l’unisson.
C’est parce qu’on ne revient jamais tout à fait des ravines, le savez-vous ? On en ramène toujours un peu de cette boue qui ne sèche pas, un peu de cette mousse qui érode, l’air de rien, la pierre sur laquelle elle repose.
Sommes-nous toujours la somme de nous-mêmes quand l’éparpillement se répète et que tout semble si mouvant en posant pied sur terre ? Nous poursuivons des lignes qui se contorsionnent, qui se tordent comme un rictus mais qui nous emportent, sans délicatesse et nous déposent là, au bout.
C’est pour ça que lorsque je me morcèle, la nostalgie revêt souvent les silhouettes singulières de mes fragilités. Vous comprenez ? Ici, il ne s’agit plus de faire semblant de disparaître. Si je ne montre pas les dents, la dilution sera brutale et sans lendemain.
Alors voilà, j’affronte ce visage pour mieux le cerner, je le dessine, je le projette au-delà de cette face qui ne peut être mienne et qui veut me détourner. Je le détoure en essayant de ne pas le dénaturer, je rature, je corrige, je rectifie d’un trait le portrait écorché qui me défie.
C’est qu’à force de sonder au plus près, il ne reste plus de soi que ce calme intranquille, une sérénité aux aguets, une vigilance accrue qui rayonne au moindre bruissement. Tout peut sembler feutré et cotonneux et pourtant les angles se font aigus quand il s’agit de forcer la porte et de pénétrer dans l’antre où nous étions assis.
Aujourd’hui, ce refuge est ouvert à tous les vents, et tous les vents s’y engouffrent, s’y frayent des chemins pour remuer les entrailles, secouer le remugle d’émotions surannées, tant de fois déjà passées au crible.
Que voulez-vous que je vous dise ? Ma gueule se casse à chaque fois que je m’approche trop près du bonheur.
m. pour L’Orchestre Poétique d’Avant-guerre - O.P.A
Nuit du 20 au 21 mars 2014 - Aux alentours de 5h du mat...
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